Les loups semblaient terriblement affamés. Ils la suivaient, se donnaient dans des aller retours incessants. Toute la meute s'agitaient sauvagement, émettaient de petits grognements, ils étaient troublés par leur instinct. Les loups avaient faim ; et elle, elle était là, tout prêt d'eux, à quelques mètres. Leurs yeux bestials la poursuivaient, leur corps trottait impatiemment. Ils paressaient s'énerver de plus en plus ; l'alpha grondait parfois : presque agressif, il se retournait, claquant méchamment des dents dans sa volte-face lorsqu'un loup, par sa simple présence, remuait ses nerfs, tendus par la faim. La demoiselle les regardait ; ils sentaient l'odeur de la viande cru : et ils attendaient. Il n'était pas encore trois heures, pas encore l'heure du repas des loups.
Les visiteurs se baladaient encore, certains se groupaient déjà près de la demoiselle au seau remplis de viandes fraîches destinées à la meute de Mackenzie. Ils observaient le sympathique spectacle, les bêtes de cirque attendant leur repas dans une attitude étrange. Les pauvres animaux s'excitaient, des fois les uns sur les autres. Agacés, leurs aller venus prêts du grillage émerveillaient les spectateurs. Par ci, par là, des photos fixaient les martyrs dans leur impatience cruelle. Ceux-ci voyaient les petits bout d'hommes, qui ressemblaient à des proies potentielles, se cacher derrières les cuisses des verticaux. Une masse de verticaux se tenaient maintenant devant eux.
Un personnage fit soudain son apparition, au beau milieu de la foule. Lui aussi faisait parti de la pièce. Sa grosse voix s'éleva et son "bonjour à tous" fit retomber l'attente des avides visiteurs. Les bestioles elles, attendaient désespéremment. Le long discours attiraient les oreilles de certains adultes, des curieux, et d'autres, impassibles, se contentaient de regarder. Les bêtes se frottaient contre le grillage, violemment. Elles exibaient leur superbe mâchoire : on aurait dit des vrais. On croirait voir de simples chiens, et les petits là-bas, c'était comme des peluches. On aurait voulu les dorloter dans nos bras, comme de simples chiots. Seulement, les simples chiens sont des loups, et toute leur sauvagerie se laissa transparaître lors de leur copieux repas.
Les uns grognaient, agressifs, les autres se jettaient, sautaient, tentaient d'attraper un morceau au passage. De terribles coups de crocs transperçaient la viande cru, dégoulinante de sang. L'agitation n'avait aucun sens, leur instinct prennait le dessus sur leur allure d'ange, une attitude horrible se dégageait de la sanglante scène. Les appats volaient un peu partout, et les claquements de mâchoires des animaux se prêtaient à un concert bestial, où se mêlaient leurs monstrueux grognements. Leur gueule prennait des teintes rouges. Les Hommes regardaient ça. Certains paressaient troublés par l'effrayante scène, d'autres, plus nombreux, s'émerveillaient à voir ces dangereuses bêtes sauvages tenus en laisse par la main innocente de l'Homme.
Chaque jour c'était encore le même cinéma. Les bêtes attendaient, s'impatientaient, grimaçaient. Puis elles mangeaient. Ensuite, elles dormaient. Et puis elles jouaient entre elles, et tournaient en rond, dans leur petit enclos, restreint à la surface d'un simple terrain de football. Les huits membres de la troupe trouvaient toujours quelques buissons pour se dissimuler. Pourquoi pas dans la tanière parfois, lorsque chaque recoin avait été fouillé, et que malgré leurs efforts, aucun coin tranquille n'avait été déniché. Ils se cachaient souvent, quand ils pouvaient. Il fallait bien.
Une terrible foule, une marée vivante, toute une masse aveugle ne cessaient de les observer, de s'écrier lorsqu'un, ou deux, se dévouait pour animer l'exécrable compagnie. Parfois, certains restaient sages, se fondaient dans la nature, étaient là sans s'exciter comme les autres. Ils se figeaient, regardaient, et partaient en mage, comme si leur savoir avait été réjoui d'un regard nouveau. Les autres s'activaient, défilaient, semblable à d'interminables files de fourmis qui suivraient le chemin de la fourmilière. Tous dérangeaient par leur insupportable présence. Ils étaient là. Le monde passait, tout le peuple venaient voir, chacun des spectateurs semblaient émus devant cet incroyable scène. De terribles et dangereuses bêtes sauvages enterrés dans un piège à touristes ou de fabuleux animaux que l'on voyait enfin ; et pour amuser la galerie, le repas. Les bêtes sortaient de partout, s'activaient, et se donnaient dans un sport curieux. Des kilos de viande apparaissaient puis disparraissaient, comme un tour de magie. N'était-ce pas superbe ? Et puis le concert des mâchoires... Tout ça, pour quelques misérables bestioles, sauvages en plus... Que la Nature est bien faite...
Et toujours, le fabuleux cinéma des Hommes et l'horrible repas des animaux se répétaient, inlassablement. C'était comme un sombre théâtre où les acteurs s'épuisent, sous les yeux émerveillés des spectateurs aveugles. Et c'était comme si ils étaient sourds aussi : aucun ne semblaient entendre les hurlements désespérés des loups, plaintes radieuses des comédiens au bord de la chute ultime.
Seulement, un jour, tout changea. La scène se jouait, la coutume de la demoiselle reprennait encore, les loups attendaient. Puis ils se laissaient appater par quelques bouts de viande déjà morte. Le troupeau voyait ça. La scène paressait plaisante, regardez ! Les loups, ils mangent ! Les loups, eux, dévoraient.
Tout à coup, une chose étrange vint choquer l'esprit des Hommes, eux seuls pouvant le remarquer, leur terrible conscience s'attardant toujours à des détails futiles. Le détail était extraordinaire, tellement improblable que les loups devenaient le simple paysage où se déroulait une scène troublante. Il faut bien avouer que le sombre évènement était peu commun, et tout droit sorti de la science-fiction, comme si le jeune là-bas avait laissé tomber son livre, délivrant le caractère extravagant de l'ouvrage.
C'était avant tout terrifiant. C'était une apparition, comme la Vierge pour ceux qui sont de la religion chrétienne. La petite tombait de nulle part. Comme par magie, là, les loups autour, dans l'enclos. Une fillette, les cheveux longs, blonds, dorés à en tomber amoureux. Un regard sauvage, les pieds écorchés, ensanglantés, troués. Un cri aiguë de petit fille civilisée, un dernier, avant de mourir subitement parmis les loups. Morte, soudainement comme elle était née devant une masse pétrifié, les gens horrifié, des parents inquiets.
C'était la Révolution dans le coeur des Hommes. Le bonheur en masse des joies comblées était écrasé par un géant de surprises effrayantes et de terrifants effrois à en couper le souffle. La foule se déréglait, les parents reprennaient instinctivement leurs biens. La raison s'était enfoui à longues jambes laissant dominer les peurs enracinées les plus profondes. Chacun oubliait l'autre et tous partait en direction opposée. La foule n'était plus que des âmes perdues à leur instinct de proie. Il fallait courir. Seules quelques personnes figées avaient déjà été dévoré par la frénésie violente de la fillette, charmante demoiselle morte.
Quelques jours après, les lieus étaient désert, et les loups attendaient toujours leur gagne-pain. Et ils pouvaient attendre, on ne savait plus quoi faire d'eux, inutiles bouches à nourrir. Les tuer ? Non, ils sont bien trop mignons, et pauvres bêtes. Pourquoi ne pas les relâcher ? Les loups sont des prédateurs et, dit-on selon le gouvernement, inoffensives. Ne savaient-ils pas courrir la nourriture d'elles-mêmes ces bestioles ? Ces bons à rien savaient-ils encore vivre ?
Forcément, ils savaient vivre. Seulement, la main innocente de l'Homme les avait frappés, une claque violente, un coup à leur faire oublier leur nature. Les loups n'étaient plus des loups, c'étaient des sortes de carnivores un peu domestique, dépendants de leur public, prisonnier à leur jeu de théâtre incessant. Aux yeux des hommes pourtant, ce n'était que de simples acteurs de leur cirque. Et ils y voyaient les mêmes loups, terribles toujours, leur infatiguable liberté parcourant les plaines lointaines de leur célèbre regard de loup.
On vint chercher le corps de la fillette, et l'on vint libérer les loups, comme ça, sans consultation administrative au préalable, comme pour s'en débarasser plus vite. On les avait tous retrouvés morts, presque, sauf un, la louvarde de la meute éclatée. Etait-elle morte, était-elle vivante ? Aucune trace ne permettait de l'affirmer, aucune recherche n'avait clairement été approfondi pour ce simple et misérable loup solitaire. Les hommes ne se souciait guère d'un animal, un animal sauvage qu'on ne pouvait apprivoiser, un animal qui n'osait pas s'attaquer aux hommes, ou à leurs biens.
Seulement, la louve, elle, elle était toujours là. Seule, elle s'occupait de petits rongeurs. Elle jouait à leur courrir après, et parfois elle gagnait, se récompensant de leur chair. Elle s'attardait à ces jeux innocents et pourtant, sa solitude l'enfermait dans une fragilité constante. Sa vie n'était plus qu'une enveloppe de porcelaine, cassante au moindre faux pas. La louve suivait juste son infaillible intuition, un guide qui lui enseignait le bon chemin, et lui en anticipait les pièges. Il lui faisait parcourrir d'inombrables kilomètres, des distances insconcientes à un rythme soutenu. Elle ne savait pas pourquoi elle allait, elle faisait, c'est tout. Sans but, ce devait être raisonnable : son fils, bien que d'une finesse charmeuse et dangereuse, tenait toujours, résistait aux forces du froid, de la faim, de la fatigue, de sa Nature.
C'était une louve, sauvage sans l'être. Elle n'avait pas peur des hommes, ils avaient toujours été là, et instinctivement elle les évitaient tout de même. Si elle en croisait, elle fuyait. Elle rebroussait parfois son chemin longtemps, revenait sur ses pas, reculait, pour avancer dans la même direction de nouveau. Toujours, elle progressait, vers un point précis bizarrement. Elle ne pouvait se détourner de sa route, orientée étrangement dans cette voie, comme les rois mages guidés par l'étoile. Elle se jettait vers le nord-est, comme si la lumière d'un espoir luisait dans ce coin lointain.
Un jour, un son, un hurlement, un chant merveilleux cassa le vent dans sa plainte soliste. Un simple loup se prêtait seul a un choeur avec les plus grands musiciens. Le vent grondait méchamment contre les arbres, et une pluie se mit à jouer du piano, laissant échapper de multiples notes graves, vives et violentes. Les feuillages, frappés par l'harmonie soudaine, s'y mêlaient avec leurs murmures de spectateurs intéressés. Le loup osa clandestinement s'insinuer dans ce concert intime. Il commença son chant, sa voix guidée par l'orchestre, dont le succès était déchiré par le hurlement du loup.
La louve passait par là, et elle répondit à l'appel. Elle n'était plus seule. Maigre, affaiblie, continuer sa route comme une tête de mule avec des oeillères était une folie mortelle. Elle abandonnait ses forces à sa quête, parcourrant sans remords des centaines de kilomètres chaque semaine, et il lui restait à peine de quoi courrir après un simple lapin. Crevée, elle émit un long hurlement et s'allongea lourdement, refugiée contre une souche d'arbre, épuisée.
C'était entre chien et loup, la lumière est faible, comme blessée, et toujours vivante, présente. On pourrait comparer cette rencontre à celle d'un coup de foudre, peut-être pas par les sentiments amoureux que cela évoque, seulement par le chamboulement inoubliable que cela crée chez l'être. A la vue du congénère, naît une surprise terrifiante, de toute évidence qui va fonder une grave incidence sur la vie de l'être à court terme, moyen terme, ou long terme. A la réponse inattendue de la louve, le loup avait réagi très vite, il avait tenté de lui répondre une nouvelle fois, presque instinctivement, sans qu'elle ne réplique à son tour. Déterminé, comme sur un coup de tête, il avait courru, dans sa direction, tout droit, le plus vite possible. Il s'était lancé, d'un bond et aventuré dans un territoire qu'il ne connaissait pas, comme un adolescent en quête d'imprévu et d'extraordinaire.
Avec son terrible odorat de loup, il avait retrouvé la piste de la louve crevante au sol, comme une fragile feuille qui viendrait tomber de son arbre. Elle était maigre, c'était horrible à voir. Seulement un loup ne prête pas attention à des apparences vives ou moches. Celui-ci vint renifler la louve, qui se releva avec peine, se prêtant avec le nouveau congénère à un jeu curieux. Chacun levait la queue et tout deux se flairer activement, se donnant à un concert de respiration sans prétention. Des hommes auraient sûrement dit que ces deux loups étaient joyeux. Simplement, ils se rencontraient, en territoire neutre, l'une solitaire, l'autre à la recherche de nouvelles racines. L'une était faible, l'autre le devenait, les deux devait s'unir pour fonder leur force. Toute la force des loups réside dans leur caractère social, impressionant pour de simples animaux sauvages aux yeux de l'Homme.
Il y aura peut-être une suite, selon mon inspiration, que je publierais dans mon vrai blog, ici.